Comme tous les matins, je me réveille à 6h30 mais aujourd’hui me lever est plus difficile
car je me suis couchée tard. Ma matinée est millimétrée donc les quelques minutes
supplémentaires pour émerger me mettent en retard et me font presque louper le bus. Je mets alors mes chaussures sans faire les lacets, je claque la porte et cours. Je réussi à monter dans le bus et à avoir ma correspondance, je suis soulagée de pouvoir ralentir le rythme. Il fait encore nuit quand je monte dans le bus, le L1 de 7h20 direction Robertsau Lamproie.
Le chauffeur ne répond pas à mon « bonjour » et ça m’agace un peu. Je vais à ma place
habituelle, debout dans la deuxième moitié du bus (après la partie accordéon). En regardant les gens autour de moi je me rappelle que c’est aujourd’hui que je dois faire l’observation individuelle pour le TD méthode qualitative alors je sors mon téléphone et note tout ce qui vient de se passer. Le bus est un endroit bruyant, des enfants crient, il y a le bruit constant du moteur, la voix féminine robotique qui annonce les arrêts, le « bip-bip » du bouton « ARRET DEMANDE », les portes qui s’ouvrent et se ferment et j’écoute de la musique avec un seul écouteur. Les personnes ne parlent pas trop, tout le monde est soit sur son téléphone avec des écouteurs, soit à moitié endormi. La jeune fille à côté de moi, habillée tout en noir et deux Capri-sun à la main, à une conversation au téléphone, je comprends qu’elle doit rejoindre quelqu’un au tram à qui elle dit « dès le matin on est en forme », dans ma tête je pense « t’es bien la seule ». La moyenne d’âge est assez basse, la plupart des personnes ont moins de 20 ans. Il y a beaucoup de circulation, c’est l’heure de pointe, le bus est dans les bouchons. Arrivé à l’arrêt Montagne verte, une grosse station, la moitié du bus descend et des gens qui étaient entassés dans le tram en sortent et courent pour monter dans ce bus. Je note que tout le monde porte son masque à l’exception d’un homme de 25 ans environ qui ne le porte pas sur son nez.
Par contre on ne respecte absolument pas les distanciations physiques, un homme est monté dans le bus et connaissait la personne proche de moi, il s’est alors mis entre nous deux et me collait, je n’étais pas très à l’aise. Je me demande qui va être à la fac ce matin et je pense au texte de Colette Pétonnet et son observation flottante, j’essaie d’adopter cette méthode dans le bus. On arrive à l’arrêt lycée Pasteur, je m’attendais à voir tous les jeunes descendre mais ce n’est pas le cas. Il fait encore nuit et je ne suis toujours pas bien réveillée, prendre des notes sur ce que je vois n’est pas facile. A l’arrêt étoile Bourse, la deuxième grande station, la moitié des gens descendent et très peu montent. Les portes restent ouvertes longtemps à cet arrêt, il y a un courant d’air, j’ai froid. Je regarde par la fenêtre et vois un garçon courir en direction du bus de l’autre côté de la rue. Le bus démarre juste quand il arrive devant et ça m’a fait un peu rire.
Tous les matins, au même endroit place de la bourse, il y a un groupe d’une dizaine de personnes et je me demande la raison de ce regroupement, je fais l’hypothèse d’une distribution de produits de première nécessité mais je ne suis pas sûre du tout. Une dame assise en face de moi lutte pour ne pas s’endormir, je vois ses yeux qui s’ouvrent et se ferment. Comme à mon habitude, j’arrive avec 20 minutes d’avance sur le campus. Déjà qu’en temps normal il n’y a presque personne à cette heure, en période de confinement il est quasiment désert et si je croise quelqu’un ce n’est pas un.e étudiant.e mais un ouvrier. J’en croise un dans le hall, il a un café à la main, je vais aussi en chercher un. La femme de ménage est dans la cafétéria. Je m’assois sur le banc devant le patio, bâtiment de langue et sciences sociales, il fait un peu froid. Je vois passer des enfants avec leurs parents à vélo, certains sont à trottinette électrique. Bruno, un autre étudiant qui a une dérogation pour venir à la fac par manque de matériel informatique arrive. Il n’arrive pas si tôt habituellement et je ne pensais pas qu’il viendrait. Je suis contente car je me dis que je ne vais pas être seule pour le cours. Il s’assoit à côté de moi et on discute une quinzaine de minutes.
La salle que la faculté nous ouvre pour suivre les cours est au troisième étage, à chaque
fois que j’arrive en haut, je suis essoufflée. Comme nous avons discuté, nous sommes un peu en retard. Pendant cours de ce matin, le prof nous répète toujours la même chose depuis la séance de la semaine dernière. On décroche du cours, je vois que Bruno dort à moitié, on n’écoute pas le professeur et en plus je suis distraite par des notifications sur le téléphone. Il y a le bruit des travaux au rez-de-chaussée qui attire mon attention. Le prof a sa caméra activée pour le cours, c’est plus appréciable, on peut voir dans son arrière-plan une bibliothèque avec énormément de livres et il a l’air fatigué. A un moment il aborde un sujet qui me fait revenir dans le cours. Quand le prof termine le visio, Emma, une autre étudiante qui vient pour la connexion internet, arrive dans la salle.
Ce matin Sophie, mon amie la plus proche de la fac, vient pour la journée de cours, je
ne l’ai pas vu depuis longtemps et je suis donc très impatiente de la revoir. Je l’accueille avec de la musique, on danse et on chante, on est contente. De retour dans la salle, Sophie saute de joie. Après cette pause euphorique, je fais les devoirs que les enfants que je garde en babysitting m’ont donné : un coloriage, des petits exercices et du découpage. Un prof passe dans le couloir et je remarque qu’il ne porte pas son masque. Midi arrive, Bruno part chez lui pour manger et Sophie, Emma et moi nous dirigeons vers le resto U, Paul Appell.
A Paul Appell, les employés du CROUS sont très gentils et de bonne humeur, cela fait
toujours plaisir de les voir. J’explique à Sophie le nouveau fonctionnement du resto U en
période de confinement. Une fois de retour sur le campus, comme il ne fait pas très froid, nous décidons de manger sur les tables dehors. Nous avons trois repas végétariens. On discute, on rigole, on fait plusieurs parties de cartes (jeu qui s’appelle le papayoo). Pour 14h, on retourne dans la salle pour suivre le cours. Sophie ayant fait une prépa n’a pas besoin de suivre et Emma et moi sommes dans l’incompréhension, on s’ennuie. Nous avons tous l’air fatigué, Sophie s’endort à moitié. On décide alors de mettre le cours en fond sonore et de jouer à nouveau aux cartes, le même jeu. Parce qu’elles écrivaient leur note pour l’observation, j’écrivais aussi. Buno lui suit un autre cours et de temps en temps on l’entend parler. J’ai peur qu’on le dérange. Après le cours Emma part dans une autre salle, avec Sophie nous continuons de jouer aux cartes et on écoute de la musique avec les écouteurs. A 16h30, c’est le départ, je passe par la salle de Emma pour lui dire à demain et je dis aurevoir avec un sentiment de tristesse à Sophie.
Je pars en direction de l’école du Conseil des XV pour récupérer les enfants du
babysitting. Je suis un peu en retard, je cours et m’essouffle rapidement avec le masque, en plus je stresse toujours avant de récupérer les enfants, j’ai peur qu’il arrive quelque chose sur le trajet. Dans le quartier de l’école, il y a des groupes de jeunes qui parlent, font du vélo, boivent des bières et écoutent de la musique. Deux d’entre eux reproduisent un de leurs entrainements de boxe, celui qui fait semblant de mettre des coups de poings dit « on a une phrase à l’entrainement pour ça : plus c’est bien, plus plus c’est trop. ». Un peu plus loin, des enfants jouent dans l’aire de jeu. Arrivée à l’école maternelle, je discute avec le surveillant qui joue avec les enfants dans la cours pour savoir dans quelle salle sont les tout-petits. Il est grand, brun, racisé et porte un jogging, à force de venir, il me reconnait et sait qui je viens chercher. Il m’explique leur nouveau mode d’organisation avec la création d’un planning (je le prends en photo). Il décide de m’accompagner jusqu’à la salle de motricité et annonce mon arrivée à la maitresse, il me présente comme la « maman d’Adrien », il se tourne ensuite vers moi pour me
demander si je suis bien la maman, je rigole en disant que non je suis la nounou et il répond aussi en riant « je ne sais pas c’est une possibilité ». Il part. Pendant que la maitresse habille Adrien, une petite fille montre à tout le monde le trou qu’elle a à sa chaussette, les enfants en rient et en veulent un aussi maintenant. Adrien est un petit garçon de 3 ans, il est blond, souvent dans la lune, n’écoute pas trop les règles et est passionné de dinosaures. Il porte un gros manteau rouge, un bonnet avec des pingouins, un petit sac à dos avec son gouter et une peluche à l’intérieur. Dans la cour de l’école il me dit « il fait nuit mais dans mon école il y a plein de lumière », il aime bien me dire cette phrase. Sur le trajet pour aller chercher sa soeur, il m’explique les règles de la cour (« ici c’est que pour les grands »), me dit que s’il mange tous ses gouters il sera bientôt un grand frère. Il me donne son sac et son bonnet pour courir puis me demande pourquoi les feuilles ressemblent à ça par terre. Devant l’école d’Inès, les parents et les enfants parlent allemand. Inès a 6 ans, elle est très scolaire, parle beaucoup, aime dessiner
et faire des câlins. Lorsqu’elle arrive, la surveillante ne veut pas nous laisser partir car je ne suis pas sur la liste, ça me surprend car je suis déjà allée les chercher plusieurs fois. Je montre alors un document sur mon téléphone, elle le prend pour l’emmener à la directrice qui donne son accord. Les enfants n’ont pas compris ce qu’il se passait et ont attendu dans le calme (pour une fois). Inès me donne son sac. Comme d’habitude, on s’arrête pour danser dans le petit tunnel, on fait la course, j’ai peur à chaque passage piéton.
Pour aller à leur appartement, il faut monter 5 étages, les escaliers sont en bois avec un
tapis ancien, le petit pleure toujours dans les marches car c’est très fatiguant pour lui, il réclame son père. On discute de vélo, ça lui fait oublier qu’il a mal aux jambes et monte les marches. Quand on arrive à la maison, ils crient et j’ai peur de déranger les parents qui sont en télétravail. Leur appartement est grand, les plafonds sont hauts, la décoration est sobre, mêle ancien et moderne. Inès m’a préparé un cadeau et m’explique la tradition familiale : « quand on offre un cadeau dans notre famille, celui qui offre cache et celui qui a le cadeau ferme les yeux ». Je ferme les yeux puis cherche avec Adri, je trouve et elle déballe pour moi. C’était une pièce en chocolat. Je donne ensuite à Inès les devoirs qu’elle m’a demandé de faire et elle est fière de moi. Adri veut qu’on joue ensemble mais je dois aussi faire les devoirs avec Inès, c’est toujours le même dilemme. Je décide d’aller dans sa chambre et on joue aux dinosaures/voitures dans un château. La chambre est en désordre. Ce n’est pas simple de prendre des notes ou des photos car sinon le petit veut prendre mon téléphone donc la plupart de mes notes ont été faite après.
Une fois les devoirs d’Inès finis, on va prendre le bain, dans la salle de bain je sépare plusieurs bagarres et essaie de trouver des compromis sans cesse. Je suis épuisée. A la sortie du bain on met la couche mais comme je ne connais pas le sens on rigole et pour le pyjama aussi je me suis trompée donc on rigole encore. La mère arrive et on fait un topo, elle me dit que je peux être plus autoritaire et m’énerver s’il le faut mais ce n’est pas quelque chose dont j’ai l’habitude. A 18h50 je quitte la maison et dois désormais faire 40min de bus, j’en profite pour écrire les notes d’observation. Le bus ne s’arrête pas au même endroit que d’habitude, je ne comprends pas. Je remarque qu’il y a déjà les décorations de Noël dans la rue. J’ai hâte de rentrer chez moi.
A peine rentrée je fais chauffer les restes du CROUS et cuisine une patate douce. Je regarde des vidéos sur YouTube. A 21h30 je suis tellement fatiguée que je décide de me coucher.